C'est bien habile de naître. Bien plus facile que de vivre. On commence tous par le même point, et pourtant, aucune vie ne ressemble à une autre. Je ne souhaite à personne ma vie. Je ne vis pas, je survis, et ce, depuis toujours. Rares furent les moments de joie. Si rares que je préfère les oublier. Ils ne reviennent que dans les vapeurs du whisky-pur-feu dans lequel il m'arrive de me perdre. Mais laissons cela. Ca ne vous concerne pas. Ma vie n'a aucun intérêt à vrai dire. Je ne suis rien d'autre qu'une façade, un masque. Personne ne cherche ce qu'il y a derrière et c'est pour le mieux. Il n'y a rien de bon à trouver. Rien de beau. Il est bien aisé de naître, vivre est une toute autre chose, et l'on ne me l'a jamais appris.

Tout a commencé le 9 janvier 1960, à Spinner's End, dans l'East End londonien. Un quartier sombre, triste. Un quartier qui m'a forgé. Eilleen Prince accoucha dans la douleur, son imbécile de mari n'arrivant qu'après plusieurs heures de travail. Tobias. Un moldu. Un moldu qui n'a jamais rien compris. Un moldu dénué de sentiments et incapable d'assumer le fait qu'il avait engrossé sa femme. Certainement, sinon pourquoi sombrer dans l'alcool à toutes heures ? Il n'était jamais clair dans sa tête, son comportement était toujours saccadé, incompréhensible, dénué de toute logique. Dès mes premières minutes dans ce monde, sa rancoeur s'abattit sur moi. Oui ma mère était une sorcière, et oui, j'en étais un aussi. Quiconque aurait été présent ce jour maudit, le jour où je suis venu au monde aurait d'ailleurs compris que je n'étais pas qu'un simple sorcier, mais un sorcier puissant, très puissant. Tant et si bien que dès le premier signe d'hostilité de Tobias à mon égard, il se retrouva projeté contre le mur, collé à celui-ci. Je n'étais qu'un être inconscient. Une créature en somme. Et ce fut la seule chose qu'il vit. « Un monstre... Notre fils est un monstre, par ta faute ! » Belle action d'éclat. Sur ces piètres paroles, atrocités qu'il avait déblatéré, Tobias s'en était allé dans le pub le plus proche, noyer sa haine au fond de plusieurs pintes. Cet homme n'était pas digne de vivre. Cet homme n'apporterait que des malheurs... Le petit être en avait eu conscience dès son premier souffle. Seule Eilleen était là pour lui. Elle seule comptait. Elle seule compterait toujours, assurément.

Il détestait son père. Cet homme plutôt. Il se refusait à l'appeler père, il s'y était toujours refusé. Tobias donc. Les jours se succédaient et se ressemblaient. Chaque mois, chaque année passant, Severus prenait un peu plus conscience de la situation. Cet homme alcoolique, colérique, violent, qui rentrait tous les soirs pour frapper femme et enfant était bel et bien son père, et il devait l'accepter. Tobias savait cogner, aimer en revanche semblait ne pas avoir de place dans son vocabulaire. L'enfant ne comprenait pas pourquoi sa mère tolérait ça. D'autant plus qu'elle pouvait faire la cuisine d'un seul coup de baguette et nettoyer la maison de même. Ne pouvait-elle pas empêcher le moldu de les torturer tous les deux ? Il semblait que non. Et Severus ne comprenait pas pourquoi son père était si méchant envers eux deux. A 5 ans, on ne comprend pas grand chose de tout cela. Et on le comprend à peine mieux à 9 ans. Age maudit pour lui, car un évènement particulièrement douloureux avait eu lieu. Un évènement qu'il conserva toute sa vie en lui. Les personnes qui comptèrent par la suite n'en eurent pas connaissance, bien qu'il ai toujours soupçonné le directeur de Poudlard de le savoir. Mais le vieux fou avait trop de tact pour évoquer cet évènement, ce fait divers plutôt avec lui. La mort de sa mère. Non vous n'en connaîtrez pas les détails, l'épisode est trop douloureux, les souvenirs encore trop vifs. Sachez seulement que Tobias en porte toute la responsabilité et que le garçon, devenu homme, se croit toujours responsable de la mort d'Eilleen. Incapable d'avoir empêché cela. Bien sur, sa mort avait été inévitable, les coups ayant trop plut sur elle, et l'enfant assomé, mais enfin... Il aurait aimé être fort. Il aurait aimé pouvoir la protéger. Voir les siens tomber est une chose atroce, et Severus dut faire face à cette dure réalité toute sa vie.

Parfois la vie vous réserve pourtant de belles surprises, si belles, si inattendues, inespérées. La vie aux côtés de Tobias n'avait rien de glorieux, et son seul refuge était la bibliothèque de sa mère. Un véritable appel à la connaissance, et souvent l'enfant se réfugiait entre les piles d'ouvrages de magie, les grands classiques moldus, et quelques ouvrages de magie noire qu'il ne comprenait pas mais qui le fascinaient. Quand il ne lisait pas, et quand il osait, il sortait. Il se rendait au parc le plus proche, et se faufilait dans des endroits où il pouvait être au calme, et s'exercer sur quelques tours simples, à l'abri des regards. C'est ainsi qu'il la rencontra. Elle. Ce soleil vivant. Cet être qui était un concentré de bonheur à l'état brut. Lily. Oh Lily. Merlin, si la vie lui en avait laissé l'occasion... Il avait rencontré la belle rouquine au parc, alors qu'elle était avec sa soeur. Leur rencontre avait été simple. Il avait osé. Tout simplement. Osé l'aborder. Elle qui était comme lui. Une sorcière. De leur rencontre naquit une grande amitié. Ils se voyaient tous les jours, tous deux fuyant une maison où ils ne se sentaient pas réellement chez eux. Lily. Ils passaient des heures, allongés dans l'herbe, à parler, rire, expérimenter leur magie. Ils parlaient de Poudlard, de la vie, de la pluie et du beau temps. Ils ne parlaient jamais de ce qu'il se passait chez Severus, et Lily avait vite compris qu'il ne souhaitait pas en parler. Parfois ils se tenaient simplement la main, observant le soleil, un doux sourire aux lèvres. Parfois la belle rouquine allait mal, sa soeur la harcelant, et Severus la rassurait, la serrait dans ses bras, innocemment comme on le fait à cet âge-là. Que cet été fut beau, irréel presque. Lily. Il s'était juré de ne jamais la quitter, son rayon de soleil. Et puis, l'heure d'aller à Poudlard était arrivée.

Ils étaient tous deux très excités à l'idée de se rendre enfin dans cette école qui leur tendait les bras. Là où ils pourraient tout apprendre, et devenir de grands, puissants et respectés sorciers. Severus n'en doutait pas, ils ne seraient pas séparés, cela ne pouvait arriver. Tout se déroula bien jusqu'à l'heure du Choixpeau. Et là, ce fut le drame. Lily avait été envoyée à Gryffondor, et lui à Serpentard. Deux maisons ennemies. Il aurait du le savoir, il aurait du l'anticiper. Mais seul Serpentard pouvait lui ouvrir la voie de la connaissance, et seul Gryffondor pouvait accueillir l'être exemplaire qu'était Lily. Il ne voulait pas laisser les destins des Verts et Rouges se mettre en-travers de leur amitié, et les premières années, il réussit presque. Certes, leur amitié était très mal vue. « Snivellus ! ». C'était son surnom officiel dans toute l'école. Il n'avait pas un profil d'Apollon mais ne méritait pas ce surnom. D'ailleurs Lily le lui répétait assez souvent, il ne devait pas en prendre ombrage, ces gamins n'étaient que des imbéciles. Après tout, en dépit de son teint blafard et de son nez aux traits marqués, on ne pouvait pas dire que Severus était affreux. Ses cheveux d'un noir de jais, qu'il lavait contrairement à la rumeur, lui donnait un certain charme, sombre certes, mais un certain charme. Bien sur, il ne pouvait pas compter sur un corps très athlétique, pas encore du moins. Celui-ci était très mince et marqué par de nombreuses cicatrices, héritées des bons soins de Tobias. Mais ses yeux d'une noirceur abyssale avaient quelque chose de fascinant, quelque chose qui fascinait Lily d'ailleurs. Des yeux qui pourtant étaient le reflet d'un être entre deux eaux. Puissant certes, mais attiré par la magie noire également. Un être trop facilement manipulable. Lucius Malefoy avait bien compris ça et eut tôt fait de le faire intégrer sa cour. Mauvaise influence. Lily ne supportait pas cela, et une suite de mauvais choix devait influencer sa chute.

Ses sentiments pour Lily s'étaient développés dans même qu'il ne s'en rende compte. Il ne supportait pas qu'elle le critique. Ce qui le faisait rire auparavant lui était insupportable à présent. Il essayait de se tenir en sa présence, obligé de ne pas parler de Sang-de-Bourbe. Ce mot n'avait d'ailleurs pas de réelle signification pour Severus. Il était un sang-mêlé. Il se gardait bien de le revendiquer d'ailleurs. Seule Lily savait qu'il avait commencé à s'auto-surnommer Prince de Sang-Mêlé. Ils étaient en 5e année, et le monde changeait autour d'eux. Très vite. Un Mage Noir se faisait de plus en plus menaçant et récupérer de plus en plus de fidèle. Pauvre fou. Mais certains comme Lucius ne cachaient pas leurs sympathies à son égard. Le Prince n'était pas de cet avis, mais faisait profil bas, ne voulant pas s'attirer les foudres des Serpentard. Déjà qu'il devait supporter les Maraudeurs à longueur de journée... à commencer par ce Potter... Un stupide imbécile qui faisait de l'oeil à Lily. Oh, sans grand succès mais tout de même. Severus n'aimait pas ça. C'était SA Lily. Et il se surprenait à regretter cette époque où il pouvait la serrer dans ses bras sans s'attirer les foudres du monde entier. Ils étaient moins proches aujourd'hui. Elle n'appréciait pas ses fréquentations et lui n'approuvait pas les siennes. Le monde les séparait, lentement. Une séparation qui devait précipiter la chute du Prince.

Une fois de plus, les Maraudeurs s'en étaient pris à lui. Le binoclard et ses suiveurs jouaient avec lui, comme s'il n'était qu'un vulgaire objet ou une vipère qu'on s'amuserait à tuer à petit feu. Oui, car le fait que Severus était un humain avec des sentiments ne paraissait pas être possible aux yeux du monde. Renfermé pour tous, sauf pour Lily. Elle seule connaissait son vrai visage, ses yeux rieurs... Les autres n'avaient droit qu'à des rictus et des regards méfiants. La tête en bas, le caleçon à l'air. Tout un chacun pouvait comprendre combien cette situation pouvait être pénible. A commencer par Lily qui avait voulu faire justice et libérer Severus. Mais il ne voulait pas. Il voulait lui prouver qu'il était un homme fort, justement, et pas le minable Snivellus que toute l'école critiquait. Elle le savait pourtant, elle le connaissait. Mais l'adolescent voulait prouver publiquement qu'il n'était pas n'importe qui. Lui prouver qu'il saurait la protéger le moment venu. Il n'avait pas encore compris que surtout, il cherchait à la conquérir à cette époque. Il aurait voulu être son chevalier blanc, noir, qu'importe, celui auprès de qui elle pourrait toujours s'abriter en cas de danger. Mais il échoua lamentablement.

« Je n’ai pas besoin de l’aide d’une salle petite sang-de-bourbe comme elle ! »

Comme il avait pu regretter cette phrase. A peine Lily avait-elle tourné les talons qu'il voulait lui courrir après, s'excuser, mais il ne l'avait pas fait. Et quand finalement, une fois seul, il s'était décidé à faire le pied de grue devant la porte des Gryffondors, il était trop tard. Il avait prononcé la phrase de trop. Il ne pouvait rien faire. Elle ne voulait rien entendre. Oh bien sur, il aurait pu lui crier qu'il avait besoin d'elle, qu'il regrettait, qu'il changerait ! Il aurait pu tout lui jurer, mais il était trop tard. Lily ne voulait plus de lui. Il avait perdu toute son estime, perdu son amitié, perdu toute espérance. Et c'est douloureusement que, quelques mois plus tard, il la retrouva dans les bras de Potter. Ce n'est que face à cette vision qu'il compris, bien trop tard, que les mots qu'il aurait du lui dire n'étaient pas des insultes, mais des paroles bien plus douces, bien plus importantes. Trois petits mots qu'il n'avait pas eu le temps de prononcer, qu'il n'aurait pas le temps de prononcer. Lily... Perdue, à jamais. Il détestait cette idée.

Il grandit alors dans la haine de Potter, et plus il voulait regagner Lily, plus il s'enfonçait. Son amitié avec Lucius se renforça. Et ce fut le grand blond qui l'amena, avant même sa sortie de Poudlard, à prendre la Marque. Promesses de gloire, de grandeur, de puissance. Oui, il deviendrait suffisament puissant pour sauver Lily du tragique destin qui l'attendait, comme tous ceux de son espèce. Potter n'en serait pas capable, imbécile comme il était, mais lui, Severus, lui seul pourrait la protéger. Il était devenu suffisament puissant. Hélas, ceci se révéla n'être qu'une illusion. Il n'avait pas pu la sauver. Au contraire, il avait précipité sa chute. Dramatiquement. Et quand il était allé voir Dumbledore pour le supplier de la sauver, pour lui offrir sa vie en échange de celle de Lily... Il avait alors perdu tout orgueil. Il ne voulait qu'une chose, que Lily vive. Qu'importe que lui meurt. Sa vie sans elle n'était pas une vie. Les tortures, et ses agissements de mangemorts l'empêchaient de dormir. Son corps était marqué, ses cauchemards dantesques. Et les morts le poursuivait. Il ne pourrait vivre une vie ainsi, reniant tout ce qui était bon en lui. Certes, il n'avait plus d'espoir mais... que la Mort vienne prendre sa vie et laisse Lily vivre la sienne. Il était même prêt à accepter de la savoir vivre avec Potter mais... qu'elle vive par Merlin !

Une volonté bafoué. Il était trop tard. Une fois encore, toujours trop tard. Le Lord l'avait tué, ainsi que toute sa famille. Le Seigneur des Ténèbres lui avait volé Lily. Voir son corps inanimé, à terre. Ne plus voir ces prunelles briller de vie. Merlin... Comme cela lui avait fait mal. Le peu de vie qui l'animait encore avait disparu. Envolé. Comment vivre si elle n'était plus là ? Quel espoir pouvait-il avoir ? Pourquoi continuer à avancer ? Il n'avait plus la moindre raison à cela. Il avait tout perdu, absolument tout. Dumbledore lui avait proposé un marché. Vivre. Vivre pour la vie qu'il avait volé à Lily. Vivre pour elle. Assumer cette torture permanente, cet effort quotidien pour elle. Lily. Il avait accepté pourtant. Vivre, pour elle. Assumer le poste de Maître des Potions à Poudlard, enseigner à des ignorants incultes un art qu'ils ne comprendraient jamais. Se perdre dans ses études, dans la connaissance pour oublier sa douleur qui ne le quittait jamais. Il se moquait de ses élèves, il n'avait que faire de leur avis sur sa personne. Il devait déjà survivre, et c'était un défi bien suffisant pour un seul homme, marqué, trahit, et ne désirant que sa propre mort.

Il aurait pu sombrer dans son quotidien, mais cette année, de nouveaux éléments apportaient un peu de piment à sa piteuse vie. Le traître qui était au centre de toutes les attentions. Sirius Black. Ce sale cabot qui l'avait poursuivit durant toutes ses années à Poudlard. Ce lâche qui avait vendu Lily et sa famille. Le gardien des secrets qui avait laissé échappé la vie de sa rouquine. Le cabot s'était échappé d'Azkaban, permettant à Fudge de remplir ses rêves de grandeur et d'asservir le monde magique. Pas besoin d'être un Mage Noir pour plonger le monde dans la terreur, même le premier imbécile le pouvait à l'évidence. Black. Il le haïssait. Il protègerait l'école contre ce meurtrier, cet infâme chien. Il avait déjà tué Lily, il ne tuerait personne d'autre. Dumbledore pouvait lui faire confiance. Il tuerait Black de ses propres mains. Il avait un sort tout réservé pour lui. A moins qu'il n'observe les Détraqueurs l'achever, cela lui procurerait le plus grand plaisir. L'heure était proche. Bientôt il pourrait venger Lily, et ce moment... Il s'en déléctait d'avance.